lundi 9 mars 2009

Au-delà de la géopolitique médiatique : le Proche-Orient version 'Do It Yourself'

Partie 3 : Au coeur de la résistance. Al-Fara'a refugee camp & Jénine.

Ces premiers jours en Israël
passés dans la ville Sainte sont passés bien vite, mais il a fallu filé droit sur Fara'a où la famille de Tarek nous attendait depuis un bout de temps. Valentina y était allé deux jours auparavant en reconnaissance, elle n'avait pas pu rentrer le soir même (ce qui n'a pas manqué de bien nous faire flipper) car les autorités israéliennes avaient fermé les check-point et coupé les réseaux téléphoniques. Autant dire qu'en montant dans le bus 9 places Volkswagen jaune, on était bien dans l'ambiance.

Premier voyage, premiers contacts avec la réalité de la séparation physique de deux peuples ennemis : on longe le mur de 8m de haut (deux fois plus que celui de Berlin) sur 200m (sur les 700km au total), on passe le check-point principal (deux fois deux voies et deux miradors) et on commence à rouler vers Ramallah où nous changeons de navette une première fois, puis une deuxième fois à Naplouse le temps de se faire offrir une tasse de café et de perdre Amin (pour la première fois sur un nombre incalculable). Première photo mémorable également.



La dernière navette nous dépose enfin dans le camp, Tarek est là et nous attendait. Les premiers a priori tombent très vite : déjà il n'y a pas de tentes dans un camp de réfugié. En fait il n'y en a plus depuis 1959, deux ans après que ces apatrides aient fondé le camp ; maintenant tout est en dur, en parpaings bien frais importé de Jordanie, les routes principales sont toutes bétonnées, il y a du commerce de proximité. Mais on dort sur un matelas pas bien épais posé à même le sol, les murs ne sont pas finis : confort rudimentaire, refus de vouloir s'installer durablement pour la plupart des habitants. On est reçu par Abu Jamil et l'on commence à discuter de tout ce qui peut bien nous intéresser, de son boulot de coordinateur des scoots de Palestine à la situation politique de la région et du camp, de la vie quotidienne, de la Jeep qui a été brûlé la veille par les jeunes du camp et de la descente qu'il y aura probablement ce soir (et qui a eu lieu), et du programme des prochains jours. On se rend compte qu'on a la possibilité de rencontrer beaucoup de monde intéressant, du comité populaire au centre de l'UNRWA en passant par une ancienne résistance de 1967 et un haut résponsable de l'autorité palestinienne. Et on décide aussi de prendre des notes, des enregistrements, des photos, de faire ça bien quoi.
L'ambiance durant cette première discussion est particulière, pesante, inattendue. La petite fille d'Abu Jamil va et vient sur ses genoux, Tarek fait le voyage entre le salon et la cuisine pour nous préparer du thé et du café... et les soeurs restent toutes dans la cuisine. Nous ne les verrons jamais, sauf moi une fois, et encore je me suis fait rappelé à l'ordre par Valentina qui m'a gentillement signalé que nous ne devons pas entrer dans la cuisine. Pendant que nous parlons, Valentina a le regard grave, ne dit presque rien, s'efface. Elle a drôlement changé depuis qu'elle a foulé la poussière de Fara'a. Sa mine sombre elle la gardera jusqu'à ce que nous nous séparerons à Ramallah, une semaine plus tard.
Nous mangeons le plat de bienvenue qui se compose de morceaux de poulet et de riz, le tout avec du pain trempé et du humus, purée de pois chiches qui se moque visiblement du mur d'apartheid et qui s'invite dans les plats d'ici et là-bas. Globalement on aura très bien mangé durant les 5 jours au camp, qualitativement car les plats traditionnels sont vraiment délicieux de la salade verte composée, au dessert à base de fromage et de semoule (on est même allé dans l'atelier de fabrication avant de le manger), en passant par ces plats principaux recueillant tout le nécessaire : viandes, féculents et pain. En gros ça donne ça (ici lors du déjeûner avant d'interviewé l'ancien prisonnier et aujourd'hui employé municipal):



Bref c'est convivial, simple, sans manières et sans prétentions. D'ailleurs maintenant que j'y pense, on m'a parlé d'un petit restau palestinien sur Istanbul, j'irai y jeter un coup d'estomac prochainement... (avec toi Pedrito ?).
Passé ce déjeuner tardif, Abu Jamil nous emmène faire un tour dans le camp, et nous découvrons l'organisation principale de celui-ci : deux artères principales se croisant au milieu du camp, les maisons montent jusque haut à flanc de coline. Nombre de bâtiments sont financés par différents gouvernement européens, et contribuent à développer une vie associative, des infrastructures pour les jeunes (écoles, jardins, centres de loisir), tandis que l'UNRWA implante quant à elle les infrastrutures de base pour la sanitation (c'est français ça ?), l'éducation, l'alimentation parfois, la santé surtout.

Le maintien de la présence de l'UN à un but politique. Alors que celle-ci cherche à se désengager au plus vite lorsque les infrastructures peuvent être dirigées par les locaux, ces derniers cherchent à garder une antenne dans le camp : l'UN a dirigé le plan de partition de la Palestine en 1948 entre Palestiniens et Israéliens (ces derniers ne l'ont pas respecté dans certaines régions, tel Nazareth), et tient donc une responsabilité quant à la situation présente des habitants de Fara'a. Aussi longtemps que les Palestiniens constitueront une population d'exilés, l'UN doit se maintenir et leur fournir ce que logistiquement ou financièrement ils ne peuvent pas obtenir (comme ces investissement initiaux lourds).
Le leader de l'antenne de l'UNRWA à Fara'a nous a livré quelques informations supplémentaires sur les conditions présentes du camp : la pauvreté et le chômage on substanciellement augmenté ces derniers mois, notamment depuis qu'il est impossible pour le Palestinien lambda d'aller travailler quotidiennement en Israel. Seuls ceux qui ont réussi à négocier un permis de passer avant la construction du mur continuent à commuter quotidiennement. Pour tous les autres dont le permis a pris du retard ou ne fut tout simplement pas accordé, le chômage les a frappé de pein fouet. A Fara'a un programme basé sur la flexibilité de l'employabilité de la main d'oeuvre a permi de créer 78 emplois temporaires (enfin, très temporaire puisque les salariés changent de metier en moyenne tous les 3 mois). Le nombre croissant de check-points à l'intérieur même de la Cisjordanie affecte le travail de l'UN au niveau logistique, et l'armée Israélienne (l'Israelian Defense Forces) ne les traite pas en amis : l'UNRWA est considérée comme dissident palestinien en Cisjordanie. En outre ce sont les Nation-Unies qui
louent le terrain au propriétaires palestiniens pour pouvoir loger les réfugiés (le bail dure 99ans) et le ditribue au familles selon leur taille. Au total, l'UNRWA finance 19 camps de réfugiés en Cisjordanie, et d'autres en Jordanie, à Gaza, en Syrie et au Liban.


Tableau d'organisation de l'aide de l'UNRWA apportée au camp de Fara'a


Carte générale de la situation communautaire en Cisjordanie

Une journée typique à Fara'a, c'est levé à 9h, p'tit dèj atomique à base d'humus (voir photo ci-dessous), puis visite du matin, ensuite déjeûner à la maison, ensuite visite de l'après-midi, et enfin déambulage et bullage sur le chantier du prochain centre pour scoots où Abu Jamil rencontre tous ses amis en buvant du thé jusqu'à 20h environ. Retour à la maison, diner de rois, puis on s'écrase sur les matelas, on décompresse. Au bout de trois jours, on commence à comprendre pourquoi Valentina nous proposait d'aller à Ramallad pour décompresser et se changer les idées autour d'un demi de bière. L'atmosphère est lourde, à la fois parce qu'on ne cesse de penser à ce que ce peuple vit au quotidien depuis 60 ans, et à la fois parce que les personnes que l'on rencontre s'efforce de nous faire comprendre leur point de vue et de nous sensibiliser à leur cause, ce qui implique la plupart du temps une mine grave, des yeux noirs, et un langage plus corporel et spirituel que parlé. Hommes et femmes fouillent davantage dans leur passé lorsqu'ils nous accueillent, bien qu'il pensent chaque jour à revenir sur leur terre originelle. En somme je me bats avec mon frère pour avoir le lecteur mp3, et m'évader en Europe le temps d'un délire à la Goran Bregovic ou d'une chanson des Gladiators. Je n'ai dailleurs jamais autant lu que durant ces 3 semaines de trip : 2 bouquins, 500 pages. Un exploit nécessaire dirons nous.

Sur 8500 réfugiés, le camp de Fara'a compte environ 60 diplômés de niveau grade Master, ce qui est plutôt significatif. La plupart sont en outre parti dans les pays voisins ou bien dans les pays soviétiques alors que le monde était encore bipolaire. De cela découle une motivation et un esprit d'entreprise particulièrement vif à Fara'a.
Bref nous avons rendu visite à de nombreuse personnalités du camp durant ces 5 jours, avec entre autres un employé de l'ancienne prison et désormais centre culturel et de jeunesse, la présidente du centre social pour femmes de Fara'a et ancienne résistante, un témoin (et aujourd'hui grand-père) de "La Grande Catastrophe" de 1948, le président du commité populaire du camp, le camp de scoots du village... autant de rencontres que de témoignages poignant et ô combien enrichissant. Je garde leur témoignage bien au chaud, je ne sais pas encore si je les publierai sur cette page.

Le dernier jour, nous sommes allés à Jénine en bus pour la journée. Départ assez tôt le matin, on saute dans un autre Transporter TDI, et après avoir failli mourir 150 fois (soit trois fois par virage), on arrive en transpiration au bord du camp de Jénine. Un membre du commité populaire, prévenu par Abu Jamil de notre arrivée, est dépêché à notre rencontre et nous mène au centre du camp.
A Jénine, la population est traumatisée par les attaques sanglantes de 2002, qui ont détruit 55% des infrastructures et habitations et tué 68 personnes. Le Freedom Theater, qui propose une alternative artistique à l'engouement des jeunes pour les armes, et à leur fascination pour leurs aînés morts en martyrs et glorifié par un placardage massif de posters à leur effigie, fut détruit totalement par l'IDF qui pensait y trouver du matériel militaire et des armes. Reconstruit par un jeune réalisateur juif, Juliano, auteur de "Les enfants de Darna", le théâtre est aujourd'hui très actif et arbore fièrement ses résultats encourageant à travers un DVD de présentation, qui, il faut bien le reconnaître, laisse les larmes aux yeux. Les jeunes filles de 15 ans évoquent leur condition de sexe faible qui les enferme et les rabaisse, les jeunes hommes parlent de leur grand frère martyr et de leur avenir obscur, de leur vie qui obtiendra finalement un sens lorsqu'il tomberont sous les balle de l'IDF.
Inutile de parlé du film de Juliano, je n'ai pas encore osé le déballé; d'ailleurs ce sera peut-être ce soir.
A Jénine, on ne doute plus, on prend conscience et on se met à la place de la population, hommes et femmes survivant avec 800NIS/mois (160€) en moyenne, et jettant leurs dernières forces dans la résistance culturelle. Bien que démilitarisée à grand renforts de check-points et d'opérations ciblées, ouvrant régulièrement des plaies non-cicatrisées, Jénine reste sans aucun doutes la ville résistante par définition. Ils tinrent 2 semaines face à l'IDF, ce qu'aucun Palestinien n'ignore.


Prochainement : Naplouse, poudrière maquillée, et Hebron, coeur juif, corps arabe. Bise à tous.

3 commentaires:

Rata'Pou a dit…

Yo Man, c'est vraiment intéressant ce que tu racontes !
Je dois dire que je découvre la Palestine à travers tes yeux.

Merci pour ce témoignage.

Pierre a dit…

Mec.... Apparemment t'as vécu un truc hyper fort. En un sens ça doit être décevant de devoir utiliser des mots pour décrire tout ça.
Super bien écrit encore une fois.

Bien sûr qu'on se le tappe ce resto palestinien !

Anonyme a dit…

yeah!

niquel l'article. je retrouve bien ce qu'on a vecu... d'ailleurs j'ai rassemblé tous les temoignages audio, il faut maintenant faire le montage, ce qui prendrait quelques semaines je pense.
en tout cas tu as super bien resumé. moi j'arrive pas a synthetiser, je tiens a absolument tout raconter et du coup ca foire le truc. Enfin bref good job dude ;)

la bizsoulecocotier